Cette phrase entendue lors d’un colloque sur la parité vient me heurter avec une force à laquelle je ne m’attendais pas.
Cette femme qui la prononce est brillante et visionnaire. Elle est pragmatique et endurante. Elle est engagée et alignée. Je pourrais faire une longue liste de ses qualités professionnelles et personnelles ; elle a tous les atouts pour prendre un poste de management de haut niveau.
Elle a tous les talents qui rendraient son équipe efficiente et respectueuse de chacun.e.
Oui mais dans son contexte professionnel (celui de bien des entreprises, collectivités et associations aujourd’hui … ), celui ou celle qui a un poste de direction est coincé.e dans une double injonction, externe mais aussi interne.
Quelle est cette injonction ?
Les personnes qui ont une responsabilité de direction de haut niveau doivent : avoir des horaires de travail à rallonge, participer à des réunions tous azimuts, avoir un planning complètement rempli, ne pas mentionner leurs impératifs familiaux, être toujours disponibles pour leurs fonctions.
Pour les femmes c’est dévastateur : elles cumulent une charge mentale professionnelle exponentielle et une charge mentale familiale dont elles ne se délestent pas, souvent parce que leur conjoint.e ne le propose pas mais aussi tout simplement parce qu’elles ont intériorisé que c’est leur rôle.
Il peut y avoir de la culpabilité aussi, énormément de culpabilité. Car tout, autour d’elles et en elles, leur rappelle que « la Maman est tellement importante pour les enfants », qu’être une bonne mère c’est être présente.
Je connais bien tout cela et la puissance de ce qui a été intériorisé.
C’est aussi sa valeur personnelle qu’on vient valider en traversant sa vie professionnelle de la sorte.
Mais à quel prix ?
Un prix individuel : un déséquilibre permanent entre le temps professionnel et les autres temps, sans parler de l’absence du temps de récupération. Un jugement intérieur permanent rempli d’injonctions, un impact émotionnel très fort, un impact physique qui peut mener au burn-out.
Un prix collectif : ce faisant on se prive de femmes comme celle qui prononce cette phrase. On se prive de vivre collectivement l’aventure d’une vie professionnelle plus équilibrée, de faire partie d’équipes respectueuses et bienveillantes, ce qui les rend encore plus performantes et nourrit la fierté personnelle de participer à une telle aventure.
C’est ça que nous osons appeler « la réussite professionnelle » ???
Je me retrouve bien dans ces mots de Rebecca Amsellem : « Avoir réussi à changer nos modes de pensée, notre façon de vivre ou nos écrits est une réussite. Concilier ces changements avec la pagaille qui nous entoure est un combat de tous les jours. »
Ce qui me réjouit c’est que nous sommes de plus en plus de femmes à travailler à ce combat. Ce qui me fait du bien, c’est de rencontrer de plus en plus d’hommes qui eux aussi veulent sortir des stéréotypes dans lesquels on les enferme. Ce qui me fait espérer, ce sont toutes les personnes qui déconstruisent ce rapport toxique au travail et au pouvoir.
J’espère que celle qui a prononcé cette phrase fera un jour partie du Top Management, et qu’elle se sera débarrassée de ces injonctions comme la structure dans laquelle elle travaille.
Ses équipes seront tellement épanouies au travail !
Sans parler de l'impact positif pour l'ensemble de son entourage : professionnel, amical, familial ou associatif.
Et de son bien-être à elle ....